Décision récente en abus sexuels : Briand c. Bélanger

La cour supérieure a eu à se prononcer de nouveau[1] sur une affaire impliquant des attouchements sexuels dans un contexte familial.

Cette décision comporte plusieurs éléments d’intérêts quant à l’état du droit et aux recours possibles pour les victimes d’abus sexuels.

Une des particularités de ce dossier est que le défendeur, beau-père de la demanderesse, avait été reconnu non coupable des accusations criminelles portées contre lui pour les mêmes faits, à savoir plusieurs attouchements de nature sexuels.

Malgré cela, le juge Maxime Roy s’exprime de la façon suivante quant à l’analyse des faits mis en preuve et de l’impact de l’acquittement :

 

« [80]        Un jugement en matière criminelle constitue un fait juridique présentant une présomption d’exactitude, admissible en preuve et pertinent au litige civil lorsqu’il porte sur les mêmes faits et gestes. Il peut s’imposer quant à sa valeur probante sans pour autant revêtir l’autorité de la chose jugée. Généralement, une reconnaissance de culpabilité par un accusé ou un verdict de culpabilité rendu par le tribunal présente davantage de valeur probante qu’un verdict d’acquittement, et ce, considérant la distinction fondamentale entre le fardeau de la preuve exigé lors d’un procès criminel (hors de tout doute raisonnable) par opposition à la norme de preuve attendue lors d’un procès en responsabilité civile (prépondérance de la preuve).

[81]        Il revient donc au juge en chambre civile d’apprécier les circonstances propres à l’affaire, de constater les distinctions quant aux fardeaux de preuves applicables, de tirer les présomptions de fait appropriées et d’apprécier la preuve produite lors de l’instruction du procès[14].

[82]        Le 16 juillet 2021, la Cour du Québec prononce un verdict d’acquittement à l’égard des accusations criminelles portées contre Roger Bélanger et découlant sensiblement des mêmes faits que ceux à l’étude[15]. À cette occasion, la juge de la Cour du Québec conclut notamment, à l’égard du témoignage de Mélanie Briand, que son récit manque de fiabilité et s’avère invraisemblable, voire impossible[16].

[83]        La preuve présentée lors de l’instruction du procès ne permet pas de parvenir à ces mêmes constats. Le témoignage de Mélanie Briand ne manque pas de fiabilité et n’a rien d’invraisemblable ni d’impossible. Bien au contraire, il se révèle tout à fait plausible, crédible, fiable et convaincant.

[…]

[34] … À quel point peut-on reprocher à une jeune adolescente, alors âgée de 16 ans, de confondre deux motos ayant été réellement en la possession du défendeur durant l’année 1996? Cela n’a que très peu d’impact à l’égard de l’évaluation de la crédibilité ou de la fiabilité du témoignage de Mélanie Briand.

[77]        En somme, l’examen de l’ensemble des faits mène à la conclusion que la preuve de la demanderesse convainc davantage que la preuve présentée par le défendeur. »

 

Quant aux dommages, la cour accorde à titre compensatoire une somme de 75 000$ et à titre punitif une somme de 25 000$ :

« [88]        Soyons clairs, toutes les formes d’attouchements ou d’agressions sexuelles peuvent occasionner des dommages importants, et ce, particulièrement auprès de jeunes personnes vulnérables. La violence sexuelle peut compromettre l’épanouissement personnel d’une enfant ainsi que son développement sain et autonome jusqu’à l’âge adulte[18].

[…]

[91]        Ici, la preuve convainc, selon la prépondérance de la preuve, de séquelles évidentes. Au cours des années, Mélanie Briand doit quitter prématurément la résidence familiale, s’alimente peu, ressent un sentiment d’isolement, de tristesse, de colère et d’humiliation. Elle doit composer avec beaucoup d’anxiété, des attaques de panique, des idéations suicidaires, certaines difficultés scolaires, un conflit familial important avec son beau-père (le père de son conjoint) ainsi que des difficultés relationnelles, intimes et sexuelles. L’absence de consultation médicale, directement en lien avec les attouchements sexuels de Roger Bélanger, n’affecte pas la véracité et la présence des séquelles identifiées.

[92]        Déterminer la valeur monétaire de telles séquelles demeure un exercice attribuable à plusieurs facteurs et discrétionnaire visant à favoriser une évaluation personnalisée du dommage. Celle-ci doit relever d’une certaine appréciation objective et sociétale, de la pondération des circonstances propres de l’affaire ainsi que de la comparaison entre les différentes autorités répertoriées. Il ne saurait s’agir que d’un simple calcul mathématique et actuariel[19]. En ce sens, les méthodes par point, d’allocation journalière et d’évaluation du déficit anatomophysiologique (« DAP ») constituent tout de même des guides utiles à l’analyse globale[20]. »


[1] 2025 QCCS 3714

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